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Pollution plastique et saison cyclonique: quand l’environnement passe à la trappe médiatique en Haiti 

05 June 2025
This content originally appeared on juno7 - Haïti News.
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5 juin 2025 – Journée mondiale de l’environnement

Alors que la planète célèbre aujourd’hui le 5 juin la Journée mondiale de l’environnement, le thème 2025 choisi par le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) — « Lutter contre la pollution plastique » — résonne de manière particulièrement urgente pour Haïti. Pourtant, les manchettes du jour sont encore monopolisées par l’obsession sécuritaire: les gangs, les déclarations de Donald Trump sur les restrictions de visas à 12 pays, dont Haïti, et les dernières nominations politiques.

Ce silence médiatique est regrettable, voire dangereux, selon la journaliste Nancy Roc, qui démontre pourquoi.

Une pollution visible, omniprésente… ignorée

Haïti est littéralement asphyxiée par le plastique. Selon une étude de la Banque mondiale, environ 37 % des déchets solides sont collectés à Port-au-Prince, ce qui signifie que 63 % ne sont pas ramassés et finissent souvent dans les rues, les ravines ou les canaux de drainage, contribuant à la pollution urbaine et marine.

Concernant les déchets plastiques spécifiquement, ils représentent entre 10 et 15 % des déchets solides produits dans la capitale haïtienne. Cela indique qu’une proportion significative de ces plastiques non collectés se retrouve dans l’environnement, posant des risques pour la santé publique et les écosystèmes.

Selon le World Population Review, Haïti présente un indice de mauvaise gestion des déchets plastiques (Mismanaged Waste Index – MWI) de 84,3 %, ce qui le classe dans la catégorie des pays à très haut niveau de mauvaise gestion. Ce taux est similaire à celui de la République dominicaine voisine, qui affiche un MWI de 84,1 % .Pas étonnant, dès lors, souligne que les canaux obstrués par les plastiques aggravent considérablement les inondations, en particulier pendant la saison cyclonique — or celle-ci a déjà commencé.

« Les déchets plastiques, lorsqu’ils bloquent les systèmes de drainage, transforment une pluie modérée en catastrophe », explique le climatologue haïtien Jean André Victor. «Cela ne relève pas uniquement de l’environnement, mais aussi de la santé publique, de la sécurité et de la souveraineté. »

Un traitement médiatique déconnecté

Le paradoxe est flagrant: alors que l’impact de la pollution sur le quotidien des Haïtiens est visuel, concret, immédiat, les médias nationaux semblent avoir abandonné l’écologie aux ONG.

La majorité des stations de radio et des medias en ligne de ce 5 juin 2025 — jour de sensibilisation mondiale — ont diffusé des bulletins surtout centrés sur les menaces sécuritaires et diplomatiques. A notre connaissance, aucun reportage de fond n’a été dédié à la gestion des déchets, aux politiques environnementales, ou encore aux pratiques locales de recyclage. Très peu ont couvert les trois jours d’activités organisées par le Ministère de l’Environnement à Pétion-Ville, où des jeunes ont présenté des solutions concrètes autour du tri, du compostage, et du ramassage communautaire.

En Haïti, la question sécuritaire occupe à juste titre une place centrale dans les préoccupations de la population. Mais à force de concentrer toute l’attention sur les gangs, les enlèvements et la violence, un autre péril — tout aussi destructeur — continue de se développer dans une indifférence quasi totale : la crise environnementale.

Pourtant, les preuves tragiques de cette urgence s’accumulent. À chaque saison des pluies, des quartiers entiers sont inondés, parfois après une simple averse. Des familles perdent leur maison, des enfants se noient, des routes deviennent impraticables. Pourquoi ? Parce que les canaux de drainage sont obstrués par des tonnes de déchets plastiques jetés sans contrôle. Ont-ils déjà été debouchés pour cette saison cyclonique? Permettez-moi d’en douter.

En pleine saison cyclonique, un enjeu vital

Le 1er juin a marqué le début officiel de la saison des ouragans 2025 dans l’Atlantique. Et selon les prévisions du National Hurricane Center (NHC), jusqu’à 23 tempêtes pourraient frapper la région cette année, dont plusieurs de forte intensité. Or, dans un pays la plupaart des systèmes d’égouts sont bouchés, et où les municipalités manquent cruellement d’équipement de nettoyage, chaque pluie devient un risque mortel.

Actuellement, plus d’un million de personnes sont déplacées en Haïti en raison de la violence des gangs, dont environ 200 000 vivent dans des camps improvisés souvent situés dans des zones inondables et dépourvues d’infrastructures adéquates. Avec le début de la saison cyclonique 2025, ces populations sont particulièrement vulnérables aux tempêtes et aux inondations. Le Programme alimentaire mondial (PAM) a exprimé son inquiétude quant à l’absence de stocks alimentaires prépositionnés et de ressources financières suffisantes pour répondre rapidement aux urgences. Une seule tempête pourrait ainsi aggraver la situation humanitaire déjà critique, plongeant des centaines de milliers de personnes dans une insécurité alimentaire et sanitaire accrue.

Et si les journalistes prenaient le virage?

Face à cette indifférence collective, il est urgent que les médias haïtiens prennent la mesure de leur rôle de veille environnementale. Si la politique et la sécurité restent des enjeux vitaux, elles ne peuvent occulter les questions écologiques qui conditionnent la survie même du pays.

Parler de pollution plastique ce 5 juin 2025, ce n’est pas faire diversion: c’est anticiper les drames évitables, dénoncer l’inaction des autorités, valoriser les initiatives locales et informer une population trop souvent laissée dans l’ignorance.

Car si les déchets plastiques continuent de s’accumuler, les prochaines inondations — déjà annoncées — feront bien plus de victimes que n’importe quel discours de Trump.

Pollution plastique et saison cyclonique: quand l’environnement passe à la trappe médiatique en Haiti

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