Mon passage ? Martissant le lundi 26 d?cembre pour me rendre ? la premi?re ?dition du festival Wonmble ? J?r?mie a marqu? mon esprit. C’est une longue travers?e. Une incertitude d?mesur?e. Je m’inqui?te. Je me d?sole. Avant la travers?e je me demande s’il n’y aura pas un affrontement entre les gangs arm?s durant mon passage. Sous ce ciel de d?cembre, bruits de klaxons, p?tarade des motos. Tout semble normal ? Martissant avec les piles de d?tritus, les mares, les trous, la boue. Les ?gouts d?bordent sur la route nationale #2. Une odeur ?cre se r?pand dans l’air. Les murs du commissariat de Martissant 2 sont perc?s par des projectiles. Les murs de toutes les maisons, d’ailleurs. Les ?coles, les ?glises, les boutiques, jadis achaland?es, ne donnent signe de vie. Sauf les fleurs qui fleurissent le long de la route. En poste ici et l?, des jeunes gar?ons v?tus de shorts et de maillots, leurs mitraillettes et leur sac de fric ? la main. Ils sont heureux comme Ulysse. Pas un signe de panique chez eux. Ils sont les ma?tres des lieux. L’?tat a livr? cette zone aux bandits. Ils donnent des restrictions. Ils commandent. On n’a pas le droit de parler. Il faut mettre son t?l?phone en mode silence quand on passe. Et si par malheur leurs yeux tombent dans tes yeux, il ne faut pas para?tre suspect. Il faut avoir l’air joyeux.
Le chauffeur du bus climatis? qui assure le trajet descend le volume de la musique et s’arr?te au niveau de Martissant 7. Sans une phrase, un jeune homme d’une trentaine d’ann?es, cagoul?, les cheveux tress?s, tend son bras tatou? vers la porte du bus. Le b?f chenn lui donne plus de 10 000 gourdes. Le bandit contr?le les billets avec attention avant de les jeter dans un sac en plastique transparent, faisant signe de passer. Le contr?le a dur? plus d’une minute. La compagnie paie au total 25 000 gourdes aller-retour.
Durant le paiement, la minute dure une ?ternit?. Nos coeurs palpitent. Le visage du journaliste Ritzamarum Z?trenne, mon compagnon de route, est rempli d’inqui?tude. Le bus a sombr? dans le silence durant cet instant. Un silence inqui?tant dans les gestes et les regards.
Un enfant de sept ans environ ans joue ? quelques enjamb?es des bandits. Le visage du petit gar?on rayonne de bonheur. Il court, sans destination. Peut-?tre pour lui c’est normal. Il a grandi entre le sang et le bruit des balles. Entre le cri de d?sespoir et la fuite. Les bandits ran?onnent les bus, les tap-tap, les camions et les voitures priv?es qui traversent la zone. Pass? cette zone de guerre, tout devient normal. Le fameux bouchon de Carrefour nous retient quelque temps. La vie est anim?e ? Fontamara. Les gens attendent les bus. Les marchandes envahissent les trottoirs.
Le march? de Bizoton, la station de B?dlo ? Mariani fonctionnent comme si de rien n’?tait. La route est belle, la vie est belle. Mon ami Z?trenne et moi nous arrivons sans encombre ? J?r?mie. On nous re?oit ? l’Alliance fran?aise de la ville. Evains W?che, l’invit? d’honneur du festival, nous re?oit avec un accueil chaleureux.
Il est six heures du matin ? J?r?mie quand je tape ces lignes sur mon vieil ordinateur. L’aube se l?ve avec toute la fra?cheur de la nuit. L’air est frais. Le bruit de la mer r?sonne en moi. J?r?mie est une ville qui ne se l?ve pas t?t. Par la grande fen?tre de la chambre, je regarde la mer entre les arbres. Je me sens loin de la rumeur tourment?e de Port-au-Prince. La r?sidence du po?te Darly Renois m’offre une agr?able vue sur la ville.