Décès de Stephora : un editorial de Diario Libre interpelle la société dominicaine et dénonce préjugés et indifférence
Le quotidien dominicain appelle à l’introspection collective et à la fin des préjugés, alors que l’enquête médico-légale soulève encore des zones d’ombre.
Le décès de Stephora Anne-Mircie Joseph, une fillette haïtienne de 11 ans, survenu lors d’une excursion scolaire en République dominicaine, continue de provoquer une onde de choc dans les deux pays. Au-delà de l’émotion suscitée par cette perte tragique, le journal dominicain Diario Libre a publié une réflexion profonde signée par l’éditorialiste et ancien ambassadeur Aníbal de Castro, invitant la société à une introspection douloureuse mais nécessaire.
Dans cette chronique, l’auteur souligne que Stephora “ne sera pas morte en vain si nous sommes capables de nous regarder dans le miroir sans excuses”. Pour lui, la noyade de l’enfant agit comme un révélateur brutal des dangers engendrés lorsque “la haine, l’ignorance et la peur deviennent une politique de survie”.
De Castro rappelle que, malgré les symboles religieux revendiqués par une grande partie de la société dominicaine, la compassion semble devenue un luxe, bien éloigné des valeurs que le pays prétend incarner. Il insiste sur l’humanité et la détermination de la jeune Stephora, dont le parcours d’effort et de discipline contredisait les préjugés raciaux et sociaux trop souvent enracinés.
L’éditorialiste met également en lumière la tempérance exceptionnelle de la fillette, qui évoluait dans un environnement marqué par des préjugés sans jamais renoncer à la tolérance. Une vertu rare, écrit-il, dans une société où vivre sans haine demande du courage, mais où vivre avec bienveillance relève d’une grandeur exceptionnelle.
Cependant, Aníbal de Castro refuse de tomber dans la rhétorique facile selon laquelle un drame suffirait à transformer une nation. “La mort n’éclaire que si quelqu’un allume la lampe”, écrit-il. La responsabilité incombe désormais aux citoyens et aux institutions : choisir entre l’oubli ou l’humanisation.
Pendant que la réflexion médiatique et morale se poursuit, l’enquête avance. Selon le rapport médico-légal 552-2025 de l’Institut national des sciences médico-légales dominicain, Stephora est décédée d’une “asphyxie mécanique par noyade”, une mort violente, survenue rapidement en raison d’une insuffisance respiratoire. Toutefois, l’origine médico-légale reste “indéterminée”, laissant plusieurs interrogations sans réponse.
Face à la gravité de l’affaire, le ministère public dominicain a imposé des mesures strictes à l’encontre de quatre employées de l’Institut Léonard de Vinci, l’école responsable de l’excursion.
Les personnes concernées sont :
Yris del Carmen Reyes Adames, directrice administrative ;
Gisela Altagracia González Estrella, coordinatrice générale ;
Francisca Josefina Tavárez Vélez, conseillère ;
Vilma Altagracia Vargas Morel, coordinatrice du secondaire.
Elles devront chacune verser une caution de 50 millions de pesos, sont interdites de quitter le territoire, soumises au port d’un bracelet électronique, et obligées de se présenter régulièrement devant le procureur.
Pour De Castro, le minimum que l’on doit à la mémoire de Stephora est de “l’honorer avec décence, empathie et justice”. Il appelle également à refuser le “silence complice” et à engager de véritables réformes — sociales, culturelles et morales — pour que son nom ne disparaisse pas sous “la poussière de l’oubli”.
L’intégralité du texte de Aníbal de Castro
Stephora, la petite fille haïtienne, ne sera pas morte en vain si nous sommes capables de nous regarder dans le miroir sans nous trouver d’excuses. Sa noyade a fait surface un rappel de ce qui se passe lorsque la haine, l’ignorance et la peur deviennent une politique de survie.
De ce côté de l’île, nous nous reconnaissons d’être un peuple chrétien, qui porte même la Bible et la croix sur le drapeau. Mais les symboles pèsent peu lorsque la compassion – cette vertu qui devrait nous guider – devient un luxe que beaucoup ne sont pas prêts à accorder.
Stephora ne sera pas morte en vain si nous acceptons, une fois pour toutes, que l’intelligence n’a pas de couleur. Que le talent, la discipline et la capacité de sacrifice ne sont pas hérités par la pigmentation ou par les lignées imaginaires : ils se cultivent. Elle l’a prouvé avec une biographie d’effort qui contredit les préjugés. La société autour d’elle n’a cependant pas été à la hauteur de sa détermination.
Il ne sera pas non plus mort en vain si nous apprenons de sa tempérance, cette vertu difficile qui consiste à ne pas laisser l’hostilité de l’environnement écraser notre esprit. Vivre dans un milieu de préjugés demande du courage ; y vivre sans renoncer à la tolérance exige une grandeur que peu de gens comprennent. Stephora l’a exercée jusqu’au dernier jour.
Mais ne nous laissons pas tromper par la rhétorique facile. Aucun drame ne transforme les peuples à lui seul. La mort n’éclaire que si quelqu’un allume la lampe. La nôtre est de décider si la mémoire de Stephora nous humanise ou si, comme tant de fois, nous laisserons la poussière de l’oubli cacher tout.
Le minimum est d’honorer son nom avec décence et avec des réformes de nous-mêmes, avec empathie et justice. Si la compassion est indégociable, le silence complice devrait l’être aussi.
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